Le monde des jeux vidéo est en pleine mutation depuis qu’il est possible de télécharger des applications de jeux par le biais de plateformes comme Facebook, l’Androïd market ou l’Apple store.
Bien que la plupart des applications soient d’apparence gratuites, il n’en demeure pas moins que des différends peuvent naître entre les joueurs et les studios de développement.
Les contestations sont potentiellement nombreuses. Elles peuvent par exemple porter sur l’acquisition et la facturation d’objets virtuels ou sur la fermeture non justifiée d’un compte joueur.
Un utilisateur d’une application peut aussi se sentir victime de propos diffamatoires ou injurieux tenus par d’autres joueurs. En cas d’inaction des responsables de l’application, le joueur serait en droit de les assigner en justice pour demander des dommages et intérêts.
Or, comment de tels différends peuvent-ils se régler lorsqu’un joueur français a téléchargé une application développée par un studio basé à l’étranger ?
La question mérite d’être posée puisque cette situation constitue l’écrasante majorité des cas.
La plupart du temps, les joueurs sont liés par les conditions générales d’utilisation des applications lesquelles prévoient, le plus souvent, la compétence des tribunaux du pays où est situé le studio.
Toutefois, il est important de préciser que les joueurs, d’un point de vue juridique, sont considérés comme des « consommateurs » et les studios des « professionnels ». Dès lors, les gamers bénéficient d’une protection spéciale en présence de litiges internationaux.
I. En cas de conflit, qui est responsable ?
Dans la mesure où un joueur télécharge une application sur une plateforme conçue à cet effet, la responsabilité de cette plateforme peut-elle être engagée ?
Si c’est un disfonctionnement de la plateforme qui a causé un préjudice direct au joueur, alors la réponse est évidemment positive. Qui d’autre que Sony pourrait être responsable de la violation des données personnelles des « clients » du Playstation Network ?
En revanche, si c’est l’application en elle-même qui pose une difficulté, la réponse est alors négative. Prenons le cas de Facebook. La plateforme mise en place par le réseau social permet aux internautes de se connecter à des applications, en utilisant leur propre compte Facebook et sous leur nom d’utilisateur. Pour autant, Facebook ne joue alors que le rôle de « relais », ce qui met un frein à toute action en responsabilité.
Le Règlement de la plateforme est très clair sur ce point puisqu’il y est précisé que les développeurs sont responsables de l’ensemble du contenu de leur application.
Cette solution est assez logique puisque les applications ne sont pas hébergées sur les serveurs du réseau social.
Toutefois, rien n’empêche les joueurs d’informer Facebook d’un problème rencontré avec une application.
D’ailleurs, dans l’hypothèse où il serait impossible d’entrer en contact avec les développeurs, Facebook peut communiquer aux utilisateurs l’adresse électronique des responsables de l’application, en cas de violation de leurs droits.
Ce recours direct au réseau social est un moyen de dissuasion très efficace pour régler un contentieux avec les responsables d’une application, dans le cas où ils ne respecteraient pas les conditions d’utilisation ou le Règlement de la plateforme.
En effet, Facebook peut alors prendre des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la fin de la relation contractuelle avec le studio de développement de l’application.
Quoi qu’il en soit, si le litige persiste, seule la responsabilité des développeurs pourra être recherchée moyennant une action en justice. Se pose alors la question de la juridiction compétente.
II. Quel juge saisir ?
La question est simple : En cas de litige avec un studio californien, un joueur français doit-il défendre sa cause devant un tribunal californien ? Ou devant une juridiction suédoise si le studio est basé à Stockholm ?
La réponse n’est pas évidente puisqu’elle dépend du lieu de domiciliation du studio.
- Si le studio est domicilié dans un pays membre de l’Union européenne, le joueur français pourra bénéficier d’un Règlement communautaire du 22 décembre 2000 dit « Bruxelles I » et il sera autorisé à intenter une action devant un tribunal français, même si les conditions générales désignent les tribunaux du pays d’établissement du studio.
Toutefois, ce choix dont peut se prévaloir le joueur ne sera possible que si le studio dirige ses activités vers la France.
De notre avis, il n’existe pas encore de décision de justice en la matière, qui apporterait un éclaircissement sur cette notion de « direction des activités » dans le domaine des jeux vidéo. Il convient alors d’appliquer la technique du « faisceau d’indices ».
Ainsi, un studio peut être considéré comme visant activement le public français lorsque son jeu est accessible sur une plateforme de téléchargement rédigée en français, qu’il accepte les paiements émis depuis des comptes bancaires français ou/et qu’il mène une campagne de publicité en France.
- En revanche, si le studio n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat de l’Union européenne, alors le Règlement Bruxelles I ne s’applique pas et les règles de compétence territoriale sont plus aléatoires.
Le joueur pourra essayer d’assigner devant la justice française le studio mais celui-ci risque d’invoquer les conditions générales et de soulever l’incompétence des tribunaux français. Les juges procèderont alors à une analyse approfondie des conditions générales pour se déclarer compétent ou pas.
Un arrêt récent du 23 mars 2012 rendu par la Cour d’appel de Pau est venu apporter quelques précisions intéressantes dans une affaire impliquant le réseau social Facebook.
Sans rentrer dans le fond du litige, les magistrats ont décidé de ne pas tenir compte de la clause attributive de compétence aux tribunaux de Californie contenue dans les conditions générales d’utilisation, estimant que l’internaute français ne s’était pas engagé en pleine connaissance de cause.
Ainsi, ils ont tout d’abord relevé qu’à l’époque des faits, les CGU étaient rédigées en anglais et qu’il n’était pas démontré que l’internaute maîtrisait cette langue.
En outre, les juges se sont aperçus que la clause relative à la compétence des tribunaux californiens était noyée dans de très nombreuses dispositions et qu’elle était écrite en petits caractères, de sorte qu’il était très difficile de la distinguer.
Autant dire que le raisonnement des juges de Pau pourrait tout à fait s’appliquer à la majorité des applications de jeux téléchargées sur internet…
Reste à voir comment les autres juridictions françaises saisies de litiges équivalents interpréteront cet arrêt. Il est encore trop tôt pour parler de décision de principe…
Face à ces règles, il est évident que les développeurs ont tendance à dénigrer ces textes et jurisprudences favorables aux consommateurs.
Toutefois, la volonté de protéger la « partie faible » est légitime. Il serait en effet trop aisé pour un professionnel du jeu vidéo de désigner systématiquement un tribunal inaccessible alors même que le joueur ne négocie jamais les conditions générales.
En définitive, la question de la juridiction compétente en présence de conditions générales désignant des tribunaux étrangers reste entière et complexe.
Le droit des jeux vidéo est en pleine gestation. Espérons que les juges continuent à se montrer à l’avenir favorables aux gamers.
Que la force soit avec eux !
Romain Darriere – Avocat à la Cour