L’insertion d’un lien hypertexte dans un article permettant d’accéder directement à un article plus ancien, partiellement reproduit, constitue, selon la chambre de la presse du TGI de Paris, « une nouvelle mesure de publication du même texte [qui] fait courir un nouveau délai de prescription de trois mois ».
Coup de théâtre devant la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris le 18 mars dernier: à l’occasion d’un contentieux en diffamation sur Internet, la chambre de la presse est venue accroître la longévité du délai de prescription applicable, bousculant ainsi le minutieux « rituel judiciaire » instauré par la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Dans la sphère médiatique, la prescription, définie par la Cour européenne comme « le droit accordé par la loi à l’auteur d’une infraction de ne plus être poursuivi ni jugé après l’écoulement d’un certain délai depuis la réalisation des faits », connaît un sort particulier: le délai dans lequel les poursuites sont enfermées est « brévissime ». Trois mois à compter du jour de la commission de l’infraction, nous dit l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. Trois mois, là où les délits de droit commun se prescrivent par 3 ans (art. 8 CPP)!
Ainsi, en matière de diffamation, la victime de propos diffamatoires qui n’a pas agi dans les trois mois suivants la publication des propos incriminés ne pourra plus agir du tout. Et ce quand bien même seraient en cause des articles publiés en ligne, le tribunal ayant pris le soin de préciser à cet égard que « lorsqu’un texte est publié sur le réseau Internet, c’est le jour de sa première mise en ligne qui fait courir le délai de prescription de trois mois ».
Ainsi défini, le cadre légal a le mérite d’être clair. Pourtant, soucieuse de s’adapter à l‘évolution des usages sous le règne de l’Internet, la jurisprudence vient brouiller les pistes. La décision commentée du 18 mars 2013 en est une manifestation. En l’espèce, les requérants entendaient faire constater le caractère diffamatoire à leur encontre de trois articles mis en ligne les 14, 28 juillet et 8 septembre 2011, au motif qu’ils contenaient des informations inexactes leur imputant d’être impliqués dans l’homicide d’un homme présenté comme ancien garde du corps du roi Mohammed VI. L’action en diffamation, intentée le 5 décembre 2011, aurait normalement du être déclarée irrecevable s’agissant des deux premiers articles poursuivis, le délai de prescription de trois mois ayant expiré en octobre 2011. Mais le Tribunal ne l’a pas entendu de cette façon.
La particularité de l’affaire résidait dans le fait que « dans [l’article] publié le 8 septembre 2011 […] figurait un lien hypertexte permettant [au lecteur] d’accéder directement à [l’]article daté du 14 juillet, article qui était de surcroît reproduit ». Et la chambre de la presse du tribunal de Paris d’en déduire que, du fait de l’insertion de ce lien hypertexte, « l’article initialement mis en ligne le 14 juillet 2011 a fait l’objet d’une nouvelle publication le 8 septembre ». Autrement dit, de la même manière que la réédition d’un livre fait courir un nouveau délai de prescription, « la création d’un [lien hypertexte] doit être analysée comme une nouvelle publication en ligne du texte auquel ce lien […] renvoie ». Et qui dit nouvelle publication dit nouveau délai de prescription, le délit étant à nouveau commis. Le délai de prescription en matière d’infraction de presse ne serait donc plus nécessairement « achevé à peine commencé », mais pourrait connaître une seconde jeunesse via les liens hypertextes.
Reste que, pour faire jurisprudence, cette décision innovante devra être confirmée par la suite. Et, sur ce point, le doute est permis. En effet, le tribunal ayant pris le soin de préciser que l’ancien article était « de surcroît partiellement reproduit », il est légitime de se demander si la solution aurait été identique en présence d’un seul lien hypertexte renvoyant à l‘ancien article, sans reproduction partielle de ce dernier. Lien hypertexte ou reproduction partielle, l’incertitude plane sur la motivation des juges. En tout état de cause, l’avancée est réelle. Car dans la presse papier, ni le fait de citer ni le fait de reproduire un ancien article ne fait courir un nouveau délai de prescription.
Romain Darriere – Avocat à la Cour
Article co-écrit par Marion Barbezieux
Article publié dans le Journal du Net: