Décidément, il ne fait pas bon d’être hébergeur en ces troubles périodes d’instabilité juridique…
Le régime mis en place par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique avait pour objectif de protéger les hébergeurs de contenu, leur responsabilité de prestataire technique ne pouvant être engagée que sous certaines conditions.
Dans un arrêt du 9 mai 2012, les magistrats de la Cour d’appel de Paris semblent manifestement avoir perdu de vue cet objectif, tant leur décision apparaît sévère pour les hébergeurs.
Dans cette affaire, des extraits du film Sheitan avaient été diffusés sur le site de partage de vidéos Dailymotion, sans autorisation des ayants droit.
Bien évidemment, les auteurs de ces mises en ligne illicites avaient agi sous couvert d’anonymat, ce qui est généralement toujours le cas.
Les sociétés détentrices des droits d’auteur sur le film ont alors saisi le juge des requêtes du Tribunal de Grande Instance de Paris, afin de se voir communiquer les données permettant d’identifier les auteurs à l’origine des diffusions illicites.
Il convient de rappeler que la procédure sur requête est très efficace lorsque des personnes publient sous pseudonyme des contenus illicites sur internet.
En effet, outre sa rapidité, les juges font généralement droit à la demande sans difficulté.
Cependant, en pratique, les internautes qui ouvrent des comptes auprès des hébergeurs donnent souvent des éléments d’identification volontairement erronés, de sorte que les données recueillies sont alors inexploitables.
Au vu de l’augmentation du contentieux relatif à la publication de contenus illicites, il est primordial que les hébergeurs améliorent leur système d’identification des personnes ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, sans quoi leur responsabilité sera engagée de plus en plus régulièrement.
Mais revenons en à l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris.
A la suite de la signification de l’ordonnance rendue sur requête, la société Dailymotion avait immédiatement transmis aux ayants droit les données d’identification des personnes ayant diffusées les extraits du film.
Elle avait donc agi avec diligence, en se conformant à la décision judiciaire.
Pourtant, les juges d’appel ont décidé qu’elle n’avait pas respecté ses obligations de fournisseur d’hébergement, estimant qu’elle aurait dû retirer les contenus illicites dès le stade de la signification de l’ordonnance.
Or, s’il est vrai que la requête était parfaitement conforme aux prescriptions de l’article 6-I-5 de la loi du 21 juin 2004 et offrait la possibilité de localiser les contenus qui étaient signalés comme attentatoires à des droits de propriété intellectuelle, il n’en demeure pas moins que la demande des ayants droit concernait uniquement la communication des données d’identification !
En effet, ils n’avaient pas expressément demandé au juge des requêtes d’ordonner le retrait des contenus litigieux.
Or par principe, un juge ne statue que sur les demandes qui lui sont soumises.
Aussi, à mon sens, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris n’est pas juridiquement viable.
Les hébergeurs connaissent déjà suffisamment de contraintes techniques et juridiques pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter, en les obligeant à lire entre les lignes des décisions de justice…
Romain Darriere – Avocat à la Cour
Article publié sur le site internet du Village de la Justice:
http://www.village-justice.com/articles/hebergeurs-nouveau-sanctionnes-Appel,12392.html