Depuis l’arrêt Eon c/ France rendu par la CEDH le 14 mars dernier, le délit d’offense au Président de la République est à l’agonie et sa disparition prochaine est plus que probable.
On aurait pu croire à sa disparition, tant ses signes de vie se faisaient rares: consacrée par la loi du 29 juillet 1881, excipée à de nombreuses reprises par le Général de Gaule, l’infraction d’offense au Président de la République avait fini par tomber en désuétude. De fait, son réveil après 50 ans de coma prolongé ne pouvait pas passer inaperçu.
Le feuilleton débute le 28 août 2008 lorsque, à l’occasion d’une visite du Président de la République à Laval, un certain Mr. Eon brandit un écriteau sur lequel était inscrite la phrase « casse toi pov’con » ; Phrase qui faisait référence à la célèbre réplique prononcée par Nicolas Sarkozy lui-même le 23 février 2008 lors du Salon de l’agriculture. Poursuivi par le ministère public sur le fondement de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, qui réprime « l’offense au Président de la République », Monsieur Eon fut déclaré coupable et condamné à une amende de 30 € avec sursis par le Tribunal de Grande Instance de Laval puis par la Cour d’appel d’Angers, le 24 mars 2009.
Il est vrai que, au regard de ses éléments constitutif, le délit était bien caractérisé. En effet, la matérialité de l’infraction ne pouvait donner lieu à discussion dès lors que, d’un part, « il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur le fait que qualifier le président de la République de pauvre con revient à l’offenser » et que, d’autre part, le matériel utilisé (petit écriteau) répondait bien aux exigences posées par l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse quant aux modalités de publicité du message. La question de l’élément intentionnel ne soulevait pas davantage de difficulté, la mauvaise foi de l’auteur de l’offense ne faisant aucun doute.
Le pourvoi en cassation de Mr. Eon ayant été déclaré non admis pour des motifs procéduraux, il y avait lieu de penser que le débat était clos. Loin s’en faut, « l’affaire » de l’offense au Président de la République allait connaître un dénouement quelque peu inattendu puisque Mr. Eon décidait finalement de porter sa cause devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en soutenant que sa condamnation avait méconnu l’article 10 de la Convention relatif à la liberté d’expression.
Profitons de l’occasion qui nous est offerte pour lister brièvement les conditions de recevabilité d’un recours devant la Cour européenne. Pour rappel, une requête individuelle introduite par un particulier qui se prétend victime d’une violation d’un droit reconnu par la Convention n’est recevable que si :
- Elle n’est pas identique à une requête précédemment examinée par la Cour ;
- Elle n’a pas déjà été soumise à une autre instance internationale ;
- Elle n’est pas manifestement mal fondée ou abusive aux yeux de la Cour;
- Elle intervient après que le requérant ait épuisé toutes les voies de recours utiles en droit national ;
- Elle est introduite dans un délai de six mois après la date à laquelle est intervenue la décision interne définitive ;
- Le requérant a subi un préjudice important.
C’est sur ce dernier fondement que le gouvernement français avait contesté la recevabilité du recours de Mr. Eon, le montant modique de l’amende rendant minime son préjudice ; Argument balayé par la Cour au motif que « l’appréciation de la gravité d’une violation doit être […] fait compte tenu […] de la perception subjective du requérant et de l’enjeu objectif d’une affaire donnée ». Or, selon les juges européens, les enjeux tant subjectifs qu’objectifs de l’affaire étaient évidents dès lors que le requérant avait tenu à poursuivre la procédure jusqu’à son terme et qu’il s’agissait d’une affaire « largement médiatisée » qui « porte sur la question [régulièrement débattue] du maintien du délit d’offense au chef de l’Etat ».
Favorables à la recevabilité de la requête, les juges strasbourgeois concluaient finalement à une violation de l’article 10 de la Convention selon un raisonnement plus que classique. Ainsi, après avoir constaté que la condamnation du requérant constituait une « ingérence » dans son droit à la liberté d’expression, la Cour s’est attachée à vérifier l’admissibilité de cette immixtion au regard des exigences de l’article 10§2 lequel prévoit que les restrictions à la liberté d’expression sont valides si elles poursuivent un « objectif légitime » et sont « nécessaires dans une société démocratique ».
Or, aux yeux de la Cour, la sanction pénale prononcée à l’encontre de Mr Eon était disproportionnée. Pour motiver leur décision, les juges ont estimé que les propos de ce dernier relevaient à l’évidence du registre satirique en ce qu’ils étaient la « copie conforme servie à froid » de ceux de l’offensé, à savoir Mr Sarkozy. Dès lors, il n’était pas opportun de sanctionner la tenue de tels propos, le recours à la satire étant nécessaire dans une société démocratique.
On pourrait regretter que la Cour ne se soit pas prononcée sur l’inconventionnalité du délit d’offense au chef de l’Etat, comme elle avait pu le faire à l’égard du délit d’offense à un chef d’Etat étranger dans son arrêt Colombani contre France du 25 juin 2002. Pour autant, la France n’a pas tardé à tirer les conséquences de sa condamnation : le 27 mars 2013, la commission des lois de l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité l’abrogation du délit d’offense au chef de l’Etat. La fin est proche, encore faut-il que l’Assemblée nationale toute entière se prononce sur l’abrogation de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 pour que le couperet tombe.
Romain Darriere – Avocat au Barreau de Paris
Article publié sur le site du Village de la Justice:
http://www.village-justice.com/articles/massue-delit-offense-president,14234.html